Industrie de l'animation : Une puissance douce pour combattre les clichés sur l’Afrique

Les animations 3D et les dessins animés sur l’Afrique représentent-ils la réalité de la culture, du folklore et de la vie africaine ? Pas vraiment. Les longs métrages d’animation réalisés en quasi-totalité par des personnes étrangères à l’Afrique contribuent à maintenir et entériner une image d’Afrique sauvage auprès des plus jeunes consciences.

Il devient urgent que les Africains, aidés par leurs gouvernements, prennent conscience du pouvoir de l’industrie de l’animation, et, comme les japonais ou les chinois, se servent de cet outil afin de, non seulement faire fructifier ce secteur à fort potentiel économique, mais aussi créer une véritable révolution mentale sur l’Afrique dans le monde entier.

L’Afrique selon Disney : Des clichés persistants à combattre

Le premier long métrage d'animation produit par l’éminent studio Walt Disney était « Blanche-Neige et les Sept Nains ». Le dispositif fut un énorme succès lors de sa première parution en 1938, si bien que le studio a continué à réaliser d'autres classiques d'animation tels que Bambi, la Belle aux bois dormant et Cendrillon.

La plupart des films d'animation de Disney ont été adaptés à partir de contes folkloriques européens. La documentation la plus ancienne du studio sur le thème de l’Afrique est le livre « Mickey Mouse and the Boy Thursday ». Sorti en 1948, il raconte l'histoire de, Mickey Mouse, l'un des personnages de dessins animés les plus célèbres de Disney. Le livre nous enseigne que : « Mickey obtient une caisse pleine de bananes d'Afrique occidentale, et trouve un africain à l’intérieur! Ha! Le sauvage est bientôt troublé par le style de vie humaine de Mickey et commet des actes de violence aveugle ».

À ce jour, le film d'animation de Disney le plus réussi à propos de l'Afrique est le très populaire film Le Roi Lion. L'intrigue du film est une histoire du passage à l'âge adulte du personnage principal, un lion nommé Simba, qui monte sur le trône lorsque son père meurt. Le film propose un casting de stars dont James Earl Jones, Whoopi Goldberg et Jeremy Irons. Il a également remporté de nombreux Prix et son succès a donné naissance à une adaptation théâtrale tout autant réussie à Broadway. Autant Le Roi Lion peut être applaudi pour avoir introduit au monde le proverbe swahili « Hakuna Matata » et la musique du compositeur sud-africain Lebohang Morake (Lebo M.), il est décevant de constater que « ... Les concepteurs de Disney, n'ont pas jugé utile d'inclure un seul être humain africain ». Ainsi, cela intensifie les notions occidentales de l'Afrique comme étant un lieu « sauvage » rempli d'animaux et de jungles et (étrangement) qui manque d’êtres humains.

Une autre caractéristique des animations de Disney relatives à l'Afrique est son énorme succès au Box Office de 1999 : Tarzan, basé sur le roman « Tarzan of the apes » d’Edgar Rice Burroughs. Comme dans Le Roi Lion, les principaux protagonistes de ce film sont des animaux, à l'exception de Tarzan et Jane, qui sont tous les deux européens. Les deux films d'animation de Disney sur le continent africain ont créé une image auprès du jeune public d'une Afrique pittoresque remplie d'animaux, et cela semble être la formule qui a été ensuite adoptée par d'autres studios d'animation. En 2005, le studio DreamWorks a sorti Madagascar, un conte sur les animaux du zoo de Central Park qui se retrouvent sur l'île africaine de Madagascar. De même, cela a aussi présenté l'Afrique comme étant dépourvu d'Africains.

L’Afrique selon Michel Ocelot : Un pas dans la bonne direction

Michel Ocelot, un animateur français qui est largement reconnu dans les pays francophones, a passé une grande partie de son enfance en Guinée, en Afrique de l'Ouest. Ocelot est un pionnier de l'animation puisque ses films proposent un récit très différent de l'Afrique de Disney. Bien qu'il ait réalisé de nombreux courts métrages d'animation, son film phare sorti en 1998, Kirikou et la sorcière, a fait de lui une figure reconnue dans l’industrie de l’animation.

Kirikou et la sorcière est un film d'animation inspiré des folklores d’Afrique de l'Ouest. L'intrigue tourne autour des aventures de Kirikou, personnage principal, un petit garçon africain débrouillard et ingénieux. Le film a remporté de nombreuses récompenses et des critiques dithyrambiques, en particulier pour sa bande son, composée par le chanteur sénégalais Youssou N'dour. L'énorme succès de Kirikou a engendré non seulement une suite, mais aussi une adaptation du film à Broadway.

Le quatrième long-métrage d'animation d’Ocelot est Azur et Asmar : la quête des princes également inspiré de l'Afrique, particulièrement des pays d'Afrique du Nord, et met en vedette des protagonistes africains qui utilisent leur esprit et leur intelligence pour surmonter leurs adversaires.

Les initiatives africaines : cantonnées au petit écran

Les animations créés par des Africains n'ont pas encore laissé leurs marques sur le grand écran, mais les animateurs de divers pays africains sont en train de s'établir dans des séries télévisées d'animation. Tinga Tinga Tales, une série télévisée d'animation pour enfants, est une collaboration entre la société de production multimédia Homeboyz TV du Kenya et la société de production britannique Tiger Aspect. Chaque épisode de Tinga Tinga est inspiré les arts de la Tanzanie et les contes traditionnels du folklore africain. La série a été très bien accueillie aussi bien par les parents que par les enfantes et l'émission est devenue un succès commercial.

La série télévisée à succès Bino et Fino de l’animateur nigérian Adamu Waziri suit les aventures quotidiennes de deux frères nigérians dans la ville d'Abuja. Contrairement aux contes de Tinga Tinga, qui utilisent les animaux comme personnages centraux, le dessin animé conçoit « l'Afrique comme un paysage urbain moderne, par rapport à la jungle pittoresque montrée dans de nombreux films américains ». Grâce à l'énorme popularité de la série au Nigeria, l'émission est diffusée dans plusieurs autres pays africains et occidentaux. Waziri a également créé des accessoires commerciaux populaires basés sur les personnages de la série.

Les leçons du Japon

L'industrie de l'animation en Afrique a le potentiel de changer l'image internationale du continent. Plus précisément, l'industrie possède une « puissance douce », un terme inventé par le professeur Nye Joseph de l'Université d’Harvard. Il se réfère à « la capacité d'une nation à obtenir les résultats souhaités par l'attrait de sa culture, de la technologie ou des politiques ... ».

Le Japon, autrefois paria à cause de son histoire impérialiste en Asie, est une bonne illustration du potentiel de la puissance douce. Le dessin animé a été l'une des industries les plus reconnaissables du Japon depuis qu'il a été introduit dans les pays occidentaux il y a quelques décennies.

Osamu Tezuka, un personnage vénéré dans l'industrie de l'animation japonaise, a créé le personnage le plus populaire de tous les temps d'animation : Astro Boy, qui était le personnage principal de la BD Astro Boy, et qui, fort de la demande du public, est devenu plus tard une série télévisée. Le succès de Tezuka a révolutionné le secteur de l'animation japonaise, qui inspire les œuvres d'autres grands animateurs comme Hayao Miyazaki, qui plus tard a cofondé le studio Ghibli, un studio d'animation qui a produit de nombreux classiques, y compris le gagnant de l’Oscar du meilleur long métrage d'animation : Le Voyage de Chihiro. Depuis la fin des années 1980 de nombreuses séries TV japonaises d'animation, tels que Dragon Ball Z et Pokémon ont honoré les écrans de télévision du monde entier, captivé les publics de toutes les nationalités et de tous les âges. La vente de dérivés commerciaux comme les jeux vidéo, les cartes de collection à échanger et les DVD, a contribué à faire de l’animation au Japon une industrie valant un milliard de dollars.

L'industrie de l'animation japonaise a modifié l’image du pays de l'après-Seconde Guerre mondiale. Ce n'est plus une île lointaine associée aux traumatismes de la guerre, mais plutôt une nation visuellement spectaculaire, un pays impressionnant avec des récits multiples.

Le gouvernement japonais, réalisant la puissance de son industrie d'animation, a intégré l'industrie dans sa politique étrangère et son programme de diplomatie culturelle : « La projection de la puissance douce est un effort conscient, ciblé et hautement prioritaire par le gouvernement japonais en vue d’exploiter la popularité du pays auprès des jeunes du monde entier - une multitude d'entre eux partageant une passion pour la mode et les tendances japonaise - et de créer une image plus sympathique dans le pays hôte ».

Les animateurs et les gouvernements africains peuvent faire la même chose : créer d'autres images, plus réalistes et impressionnantes des pays africains comme les sites dynamiques de créativité et de changement.

Un fort potentiel à exploiter

Deux films d'animation sur des thèmes africains seront projetés dans les cinémas du monde en 2012. Le premier est le long métrage de Jean-Christophe Lie récemment sorti en Avant-première au Festival international de Berlin du 09 au 19 février 2012. Zarafa, le film de Lie, c'est l'histoire de deux amis, un garçon égyptien de dix ans nommé Maki et une girafe nommée Zarafa, qui voyagent du Soudan et de l'Egypte vers Paris.

Le prochain dessin animé le plus attendu sur l’Afrique est une adaptation d’un roman graphique acclamé par la critique : Aya de Yopougon de Marguerite Abouet, prévu pour février 2013. L’ivoirienne Marguerite Abouet, a créé un roman graphique intitulé Ayo de Yop City après avoir déménagé en France. L’histoire relate la vie quotidienne d'une ambitieuse femme ivoirienne de dix-neuf ans et de ses amis à Abidjan, en Côte-d'Ivoire. Le roman graphique a connu un succès instantané et a été traduit en plusieurs langues. La bande dessinée présente « une autre Afrique, bien différente de celle, encombrée de clichés en tout genre, dont nous abreuvent les médias ». Le livre donne à voir un Afrique qui illustre la vie quotidienne en dehors du récit typique de la guerre, de la famine et de la maladie.

Les fans d’Abouet ont investi les forums Internet et les blogs sur le premier long métrage d'animation avec une femme africaine comme personnage principal.

La jeune relève des animateurs à travers l'Afrique utilise l'Internet non seulement comme un moyen d'acquérir de nouvelles compétences techniques, mais aussi comme une plateforme pour afficher leur propre animation et former des collaborations avec d'autres animateurs.

Les animateurs africains utilisent l'Afrique comme une source d'inspiration pour leur animation afin de raconter des histoires africaines à des publics plus larges. Bien sûr, l'animation fournit également un moyen d'expression artistique et crée de l'emploi pour de nombreux esprits créatifs en Afrique.

Toutefois, le manque d'espace créatif permettant aux animateurs de mettre en valeur leurs projets dans un marché sous-développé et à fortes contraintes financières inhibe également l'expression créatrice à travers l'animation, rapporte le Global Press Institute.

Mais, la passion continue et le dévouement des animateurs à travers l'Afrique est en train de créer une petite industrie mais redoutable, attirant chaque jour davantage d’adeptes.

Analyste sur Nextafrique.com.

Carole Ouédraogo est passionnée d'anthropologie, domaine dans lequel elle poursuit une thèse.