Suite au large succès du Parti pour la Justice et le Développement (PJD) lors des législatives au Maroc, on peut penser à un vote résultant d'un effet de mode suite au printemps arabe qui a vu l'émergence d'un islamisme politique comme une force avec laquelle il faut compter.

Certes, le succès du « modèle » turc, conjugué au succès d'Ennahda en Tunisie et la future émergence des frères musulmans en Egypte, ont vraisemblablement donné des idées aux électeurs marocains. Toutefois, l'ampleur de la victoire du PJD (plus du quart des sièges), dans un pays qui ne s'est pas inscrit dans une logique révolutionnaire mais plutôt évolutionnaire à l'image de l'intégration du PJD dans le champ politique (contrairement à Ennahda en Tunisie et aux frères musulmans en Egypte qui étaient exclus), laisse penser à l'existence d'autres motivations derrière le choix des électeurs de voter PJD.

De prime abord, il s'agit d'un vote-sanction du gouvernement sortant surtout après le bilan très mitigé des partis de la Koutla (Union Socialiste des Forces Populaires USFP, Parti pour le Progrès et le Socialisme PPS et le Parti de l'Istiqlal IP) qui ont géré les affaires du pays depuis 2007. Les problèmes de chômage, de pauvreté, de corruption et des inégalités sociales ont fini certainement par exaspérer les marocains. Les électeurs ont perdu confiance dans les partis politiques qui représentent, à leurs yeux, à côté des affidés et des apparatchiks du palais les principaux responsables du sous-développement du pays.

Ensuite, les élus du PJD ont fait valoir leur « virginité » politique (aucune participation gouvernementale dans le passé) et leur moralité en exploitant leur référent islamique pour vendre une certaine probité tant recherchée par les électeurs, échaudés par des décennies de corruption, de népotisme - sans parler des fausses promesses. Le PJD a offert un corps d'élus moins exposé et a profité de l'usure de ceux de l'équipe sortante et des autres partis. Certes près de 88% des candidats à cette élection se sont présentés pour la première fois, mais dans le mode de scrutin actuel, seules les têtes de liste comptent réellement, qui étaient choisis parmi les vieux notables surtout chez les partis de la Koutla et du G8 (groupement de partis centristes pour faire barrage au PJD). Le PJD représentait l'alternative la moins corrompue aux yeux des électeurs marocains qui ont décidé de tenter l'expérience et donner la chance à une nouvelle alternance, cette fois-ci émanant de la base populaire.

D'ailleurs, les candidats du PJD ont fait valoir la lutte contre la corruption comme leur principal credo. Un message qui a trouvé un large écho auprès des électeurs car simple. La simplicité a été un facteur déterminant dans l'efficacité de leur campagne électorale. Les représentants du PJD, depuis sa création, ont adopté un discours simple et proche des préoccupations quotidiennes des différentes souches de la société marocaine. Ils ont su communiquer avec la majorité des citoyens en évitant un langage fourré d'idéologie et de jargons techniques comme les autres partis, ce qui est toujours perçu par les citoyens comme du snobisme politique et social. Au contraire ils se sont appuyés sur un discours moralisant de la vie politique avec des références et symboles religieux, et ont fait évoluer son discours en cessant de condamner les festivals musicaux ou les concerts de Shakira, ont promis de ne pas faire interdire l'alcool, mais ont insisté pour que la liberté de conscience ne figure pas dans la nouvelle Constitution approuvée par référendum en juillet. En déclarant ne pas vouloir s'ingérer dans la vie privée des marocains, ils ont mis davantage en avant leur volonté de rétablir la justice sociale, lutter contre la corruption, combattre l'économie de rente sachant que la lutte contre la mauvaise gouvernance était la principale revendication des manifestants marocains.

Enfin, le succès actuel n'est pas le résultat d'une campagne de quelques semaines, mais le fruit de plusieurs années de travail sur le terrain. En ce sens, le parti islamiste a su construire une base populaire solide grâce à ses Suvres sociales et de charité. En occupant le terrain social délaissé par l'Etat, il a su se constituer un vivier de voix reconnaissantes qui ne peuvent que le soutenir de manière indéfectible. Cette stratégie sociale de proximité a déjà fait ses preuves dans d'autres pays que ce soit en Palestine avec le Hamas ou Ennahda en Tunisie. Sans oublier que les pjdistes participent à la gestion du pays au niveau local depuis le début des années 2000. Leur bilan reste, malgré quelques cas, apprécié par les citoyens habitant les communes et les collectivités locales gérées par les élus du PJD, ce qui les a encouragé à voter pour eux. Cela explique en grande partie la solidité de leur base électorale qui en moyenne leur a permis de rafler 500000 votes depuis 1997 contrairement aux autres partis où l'étroitesse de leur base les rend plus vulnérables aux faits conjoncturels et aux retournements des opinions.

Enfin il ne faut pas oublier que le PJD a mené une campagne moderne en faisant bon usage des nouvelles technologies de l'information à l'image des révoltes arabes. Contrairement aux autres partis, ils ne se sont pas contentés des meetings populaires traditionnels et la distribution des tracts, mais ont utilisé internet et les réseaux sociaux pour diffuser leur message et toucher d'autres franges d'électeurs, notamment les jeunes. Rappelons ici que le PJD est le parti qui dispose du plus important site parmi tous les partis concurrents et qu'il est le seul à posséder une radio sur le net.

Si la montée des islamistes est dans l'air du temps, il n'empêche qu'en donnant la majorité de leurs voix au PJD, les électeurs marocains ont voulu envoyer un signal à tous les politiciens que désormais ce sont la compétence et la probité qui doivent devenir le référent de la pratique politique au lieu de la notabilité, héritée ou réaménagée. Le PJD sera-il à la hauteur de la confiance du peuple marocain ? L'avenir nous le dira.

Hicham El Moussaoui est analyste sur www.UnMondeLibre.org

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