A quoi ont servi les millions dépensés dans l assistance technique par les agences de développement? L examen critique des programmes d assistance, qui porte sur l appui du secteur privé en Afrique, pointe des bénéficiaires peu consultes, l absence d adhésion au projet, le manque de suivi, la mauvaise coordination.

A quoi ont servi les millions dépensés dans l assistance technique par les agences de développement? L examen critique des programmes d assistance, qui porte sur l appui du secteur privé en Afrique, pointe des bénéficiaires peu consultés, l absence d adhésion au projet, le manque de suivi, la mauvaise coordination.

Si l assistance technique est souvent l apanage des organes gouvernementaux (tels que les banques centrales et les ministères), elle sert aussi en Afrique à développer le secteur privé et, en particulier, les petites et moyennes entreprises (PME).

L assistance technique dédiée au secteur privé vise à favoriser le développement des entreprises, mais beaucoup plus encore celui des mésoinstitutions comme les associations d entreprises, les instituts de formation et autres organismes de soutien.

Elle a toujours eu trois objectifs :

  • Le premier consiste à investir dans le développement du capital humain, autrement dit dans le renforcement des capacités humaines , le transfert de compétences  et la formation , pour reprendre les termes traditionnellement utilisés.
  • Le deuxième vise à apporter le financement initial nécessaire à la création de nouvelles entreprises ou initiatives.
  • Le troisième tient au développement d un capital institutionnel par la création ou le renforcement d organismes de soutien au secteur privé ; objectif qui vise aussi à encourager des solutions innovantes et l approfondissement des marchés.

Étant donné les millions dépensés dans l assistance technique par les agences de développement, un examen critique en termes d efficience et d efficacité est indispensable. Cette évaluation portera sur l assistance technique en soutien au secteur privé en Afrique.

Impliquer les bénéficiaires

Malheureusement, ces mésostructures sont souvent le fait d initiatives publiques financées par des donateurs extérieurs et tiennent rarement compte des besoins réels des entreprises qu elles sont censées soutenir.

Secteur privé et développement

proparco revue

Cliquez sur le lien pour consulter l'intégralité du 11ème numéro de la revue Secteur privé et développement de Proparco, intitulé "L'assistance technique au service du secteur privé : un outil de développement"

Le problème commence souvent dès la conception des programmes d assistance, quand les agences de développement et les services gouvernementaux décident du contenu sans vraiment consulter le secteur privé au préalable. Or, l expérience montre que la création de réseaux professionnels ou de services d appui aux entreprises sans impliquer les bénéficiaires finaux est vouée à l échec, car cette absence d implication débouche à terme sur une absence d adhésion de leur part.

Mais gagner leur adhésion n est pas sans difficultés.

Les procédures administratives des agences de développement sont en effet parfois si coûteuses en temps et en argent qu il est pratiquement impossible pour une organisation du secteur privé de mettre en place une assistance technique. Les gouvernements africains peuvent aussi créer des difficultés s ils ont des acquis à préserver dans certains secteurs d activité.

Des outils inappropriés et une cible bien trop étroite

En Afrique, la majeure partie de la population vit ou travaille encore dans le secteur informel, et l agriculture de subsistance reste incontestablement le principal secteur d emploi. Il devient donc urgent de proposer des outils appropriés pour remédier à ces réalités. La mécanisation et le matériel agricole occidental n ont pas trouvé de terrain fertile et les services de consultants proposés aux entreprises n ont pas porté leurs fruits.

Dans de nombreux pays africains, l assistance technique a perdu de sa pertinence lorsqu elle a commencé à se focaliser sur de petits groupes d entreprises formelles non agricoles, souvent à forte intensité capitalistique. Du coup, le développement des secteurs à forte intensité de main d Suvre, tel que l artisanat, en a pâti.

En Éthiopie, dans le secteur du cuir par exemple, l assistance s est concentrée sur une poignée d entreprises qui auraient parfois eu les moyens d en assumer elles mêmes le coût. En Afrique occidentale, l assistance technique fournie à l appui d une industrialisation du secteur textile a, dans une certaine mesure, empêché l émergence ou le renforcement d un secteur artisanal. Celui-ci n a pas réussi à développer les savoir faire de base requis dans la filature, le tissage et la finition.

Absence de normes et de coopération

En plein essor depuis quelques décennies, l assistance technique attire de nombreux consultants et cabinets de conseil. Des problèmes peuvent se poser, en particulier lors du choix du prestataire, qui revient le plus souvent à un intermédiaire, l agence de développement. En règle générale, les exigences administratives et financières priment sur la qualité du profil. Le prestataire le moins cher l emporte sur le plus qualifié, d autant plus facilement qu il n existe pas de normes d'évaluation uniformes dans le domaine de l assistance technique. Les objectifs et les outils de reporting varient en fonction de chaque agence de développement. Malgré l absence de données publiques, il existe de nombreuses études sur les principaux secteurs de l économie africaine. Aucune d entre elles ne fait la moindre allusion à des actions spécifiques que l assistance technique aurait permis de mettre en place.

Les auteurs : Klaus Niederländer et Peter Hinton

Klaus Niederländer est directeur de Cooperatives Europe, l association européenne des entreprises coopératives, et directeur régional de l Alliance coopérative internationale. Fort d une expérience dans la banque d investissement et le conseil en management, il a consacré 10 ans au développement des PME en Afrique subsaharienne, essentiellement pour créer des regroupements économiques et des liens entre financements à long terme et assistance technique.

Peter Hinton est président directeur général de Summit Development Group. Son parcours dans le capital-investissement, la banque, la distribution, le financement des entreprises et l expertise comptable lui vaut une expérience commerciale de 25 ans, dont 18 en faveur du développement des PME en Afrique. Il occupe une chaire de professeur associé à la Saïd Business School de l université d Oxford.

En Afrique, l assistance technique prend souvent la forme d une mission d enquête d une semaine condamnée à rester sans suite ou d un rapport de consultant que personne ne lira jamais. En présence de ressources limitées et d externalités négatives (absence de services publics efficaces, corruption endémique, conditions climatiques défavorables), il serait normal, dans un souci d efficacité, de mettre en commun les rares ressources disponibles. C est encore loin d être la règle. Entre de l argent de plus en plus rare et une compétition entre les agences de plus en plus rude, les prestataires travaillent chacun de leur côté dans le but de défendre leur territoire. Les activités redondantes sont courantes dans tous les pays et tous les secteurs d Afrique subsaharienne. Quand ce service est fourni avec un prêt ou une participation financière, les intérêts de l'institution financière et du bénéficiaire peuvent mieux se concilier, en particulier lorsque celle-ci détient une participation dans l entreprise bénéficiaire.

Dans les années 1990 et 2000, le ministère britannique du développement international a créé le Financial Deepening Challenge Funds pour promouvoir le développement d instruments financiers innovants en Afrique. Ce programme liant assistance technique et investissement visait à renforcer les capacités de prêt des banques et des intermédiaires spécialisés dans le financement des PME. Autre exemple : le fonds de capital investissement GroFin, spécialisé dans le financement et le développement des PME africaines. Il a bénéficié d une assistance technique de la Fondation Shell2, qui a facilité la phase de recherche et développement pour la mise en place de ses activités de financement dans plusieurs pays africains. Dans tous ces cas, les bénéficiaires étaient exposés à un risque financier.

Qui plus est, bénéficiaires et investisseurs étaient tenus de rendre des comptes sur la mise en Suvre de l assistance technique. Il leur incombait aussi de mesurer les résultats obtenus selon une méthode définie à l avance pendant le déroulement et à l achèvement du projet, et de tirer les leçons de ces expériences. Malgré ces résultats positifs, ces approches sont difficiles à généraliser. Actuellement, l attention portée aux nouvelles solutions de financement et aux modes d assistance technique est limitée. Un renforcement des capacités organisationnelles et institutionnelles des intermédiaires serait pourtant nécessaire pour améliorer le suivi et l'efficacité des programmes de soutien au secteur privé.

Ceci est notamment vrai pour le développement de structures de financement locales adaptées et la transformation des institutions de micro-finance en véritable banque de financement des PME. L expérience des banques de crédit coopératif, créées par des sociétés coopératives, dans de nombreux pays en développement pourrait s'avérer utile.

Les causes d'échec

Lorsqu'il ne s accompagne d aucune obligation précise en matière de responsabilité et de mesure des résultats et qu il n y a guère d investissement en jeu, le programme d assistance technique atteint rarement son objectif. Mais d autres raisons entrent en jeu. Parfois, les objectifs n ont pas été clairement définis le cas est fréquent dans le cadre de l aide liée  pratiquée par divers pays , ou sont contradictoires, quand les exigences politiques du donateur priment sur les besoins commerciaux de l entreprise.

L objectif peut être complètement aberrant : installation d une machine ou d une usine au mauvais endroit ou transformation des produits de la mer dans le Nord du Kenya. Lorsque l assistance technique relève plus d un e!et push que d un e!et pull, dicté par les besoins réels de l entreprise bénéficiaire, elle est souvent vouée à l échec.

Les solutions pour l'avenir

Les programmes d assistance technique manquent tellement de transparence, notamment au niveau des résultats obtenus, que les donateurs et les bénéficiaires n ont souvent aucune idée de leur impact et des leçons qui en ont été retirées3. Les prestataires communiquent rarement leurs résultats, peut être de peur de se retrouver face à des situations embarrassantes. Il est bien plus simple de chiffrer les dépenses que d évaluer l efficacité. Un plus grand partage des résultats et des expériences permettrait une amélioration des approches et des pratiques. À la lumière de ce qui précède, plusieurs recommandations seraient susceptibles d améliorer l efficacité de l assistance technique. Il faudrait commencer par préciser la finalité exacte de l appui aux entreprises.

L assistance technique devrait soutenir des projets pilotes retenus pour leur potentiel d innovation et de développement d un nouveau secteur. Il faudrait aussi développer à plus grande échelle l appui aux PME ou à un secteur, en créant des compétences institutionnelles au niveau méso, en partant du bas (approche bottom-up). Il faudrait également créer un lien entre l assistance technique et l activité d investissement de sorte qu il y ait un réel enjeu à ce qu elle fonctionne bien. Il serait bon de fournir au moins une partie de l assistance technique sous forme de prêt à taux zéro, de manière à obliger le bénéficiaire à un remboursement partiel du coût.

Ce soutien devrait servir à encourager l innovation, les nouvelles pratiques commerciales et à catalyser les flux de capitaux privés  couverture des premières pertes (first loss) ou coûts de démarrage des nouveaux fonds d'investissement. Il faudrait également créer des liens durables avec le financement du développement et promouvoir des structures de coopération et de gouvernance conjointe pour gérer les fonds d assistance technique. Cela favoriserait le développement des ressources humaines et le renforcement des capacités institutionnelles.

Enfin, il conviendrait de pouvoir mesurer en permanence les résultats obtenus par rapport aux objectifs initiaux. Par exemple, si l assistance technique a pour but d accroître la capacité de prêt d une institution financière, la mesure des résultats attendus devra permettre de quantifier la croissance de cette activité. L assistance technique dédiée au secteur privé peut jouer un rôle très important en Afrique en encourageant l innovation, la finance inclusive et le renforcement des capacités institutionnelles et humaines. Elle est promise à un bel avenir si tous les prestataires acceptent de mieux mesurer les impacts, de partager leurs résultats et de rendre des comptes. En revanche, s ils refusent, l Afrique s en tirera probablement mieux sans eux.

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