L'Afrique est le continent où le paiement par téléphone mobile - m-paiement- rencontre le plus de succès. Les explications d'Henri Tcheng, associé BearingPoint, Jean-Michel Huet, directeur Emerging Markets de BearingPoint, et de Jean-Bernard Pagès.

Bien que cela aille à l'encontre de beaucoup d'idées reçues, l'Afrique peut avoir une longueur d'avance sur les pays dévéloppées en termes d'innovation. L'exemple emblématique depuis 3 ans est le m-paiement (l'utilisation du téléphone mobile (m) comme moyen de paiement). Dans un continent où le « cash » est pour 90 % des habitants moyen de paiement (avec le troc), cette révolution est significative. La particularité de cette révolution est triple

- D'une part l'Afrique est le continent au monde où le m-paiement rencontre le plus grand succès (cas extrème : 30 % des transactions au Kenya passe par le mobile)
- D'autre part, ce service a un vrai apport pour les populations (il permet de payer sans se déplacer et sans avoir besoin d'un compte en banque personnel)
- Enfin, sur le continent des modes de collaborations entre opérateurs télécoms et banques voient le jour dans de meilleurs conditions qu'ailleurs.

Le secteur bancaire et celui des télécommunications partagent de nombreux points communs. Les entreprises de ces secteurs exercent un métier d'opérateur : de marché financier ou de réseaux de télécommunication. Ils sont amenés à gérer des flux dématérialisés et à valoriser des transactions, entre particuliers ou entre entreprises. Dans les deux cas, l' « usine » qui produit le service de base est un imposant système d'information et de communication compte tenu des besoins d'interconnexions normalisées et sécurisées assurant l'interopérabilité des réseaux des opérateurs.

Plusieurs modèles de relation, non exclusifs, entre banques et télécoms sont observés sur les marchés locaux et semblent être favorables au développement des paiements mobiles :

  • Modèle de complémentarité : les banques et les opérateurs proposent chacun un mode de paiement mobile mais adressent des cibles différentes
  • Modèle de substitution : si les banques ont peu de latitude localement, les opérateurs télécoms peuvent proposer seuls une solution de paiement mobile, et vice-versa
  •  Modèle de coopération : les banques et les opérateurs télécoms sont amenés à réaliser des partenariats tout en gardant leurs rôles initiaux sur la chaîne de valeur du paiement mobile
  • Modèle de fusion : les acteurs peuvent fusionner ou sinon acquérir la possibilité d'être à part entière un opérateur ou une banque respectivement

Une particularité du paiement par mobile est une dominante « continentale » des modèles. En Asie on trouvera surtout le modèle de fusion (au Japon comme en Chine), tandis qu'en Europe le modèle de complémentarité qui domine. Les « modèles de substitution » ou de « coopération » sont par contre au coeur de l'explosion du m-paiement en Afrique, qui à ce jour demeure le continent où cette innovation rencontre le plus grand succès.

En général, les acteurs du marché des télécoms se substituent voire concurrencent le secteur bancaire, en particulier dans le cas où des solutions « orientées mobile » sont développées (l'opérateur contrôle toute la chaîne de valeur : de la création et gestion du compte au paiement). Ce « modèle de substitution » est expliqué par la faible densité du réseau bancaire et par une régulation du paiement mobile plus souple. En Afrique, 60% des 400 000 villages africains sont couverts par le réseau télécom alors que les agences bancaires ne sont souvent présentes que dans les grandes villes. La régulation des services de paiement mobile en Afrique est certes moins contraignante que dans les pays occidentaux. Néanmoins, le régulateur peut imposer des limites dans certains pays concernant les montants transférés, l'octroi d'une licence électronique de la banque centrale ou encore en termes de compatibilités entre les solutions proposées par les différents acteurs du marché.

Un faible taux de bancarisation: 11%

La téléphonie mobile est devenue ainsi un moyen d'initiation et d'exécution de transactions financières en ligne étant donné l'explosion du nombre d'abonnés en mobiles dans la majorité des pays africains. Cette solution « orientée mobile » cible essentiellement une population non bancarisée importante en Afrique (le taux de bancarisation en moyenne est de 11% en Afrique Sub-Saharienne et en Afrique du Sud). L'ouverture de compte bancaire est réservée à une population privilégiée bénéficiant d'une adresse résidentielle fixe et d'un revenu mensuel régulier. Il a été envisagé d'élargir le périmètre de ces services de paiement mobile aux entreprises, concurrençant ainsi les offres des banques : échanges de flux financiers, paiement de taxes et impôts, etc.

Parmi les premiers opérateurs à lancer ces offres de paiement mobile, Orange, qui a déployé la solution « Orange Money ». Les souscripteurs au système peuvent déposer ou retirer de l'argent auprès d'agents Orange. Le transfert d'argent de personne à personne se fait simplement par SMS. Aussi, le paiement mobile permet de payer le salaire journalier des travailleurs, le paiement de la course des taxis, le transfert d'argent aux proches en cas d'urgence, ....

Ce type de paiement mobile est avantageux pour les clients et les opérateurs. Il permet en effet de réduire les coûts des transactions internationales ou domestiques de personne à personne (0,50$ avec le paiement mobile contre plus de 30$ avec les moyens précédemment développés), d'initier aux services bancaires basiques (gestion d'un compte bancaire, accès aux micro-crédits, ...) et créer ainsi de nouvelles habitudes commerciales (l'achat de biens, la recharge du compte de minutes mobile à distance, transfert domestique et international de minutes de téléphonie,...). De plus, en réduisant l'utilisation du cash, les risques de vols sont limités.

Les bénéfices du paiement mobile pour les opérateurs sont tout aussi importants dans le cas de ces offres « orientées mobile». En effet, en plus de générer des revenus supplémentaires aux opérateurs hôtes du service, ce produit fidélise les clients actuels et cible de nouveaux prospects. Ces solutions renforcent également l'image « sociale » de l'opérateur. Les services bancaires ainsi démocratisés permettent aux souscripteurs du service de paiement mobile d'accéder aux micro-crédits, de développer leurs projets et de contribuer par conséquent à la croissance économique.

Certains « modèles de coopération » existent également sur le continent africain. Les opérateurs télécoms peuvent mettre en place des partenariats avec les acteurs du secteur bancaire. Tel est le cas des pays où le taux de bancarisation est relativement élevé et la réglementation bancaire moins contraignante.

En effet, les offres « orientées banque » (où la banque se charge de la création et de la gestion du compte et l'opérateur télécom du transport des données et de la distribution de l'offre) proposent aux souscripteurs la consultation des comptes, le transfert local d'argent d'un compte bancaire à un autre via le mobile, le paiement de factures, etc. Tous ces services nécessitent l'ouverture d'un compte bancaire auprès de la banque partenaire. La solution « MTN Money services » est la première offre développée par MTN Banking. Cette solution « orientée banque » est née du partenariat de MTN avec une division de la Standard Bank en Afrique du sud.

En 2009, les opérateurs télécoms en Tunisie ont également conclu des partenariats avec les banques locales. Aussi, les clients mobiles peuvent à présent recharger leur mobile aux distributeurs automatiques des banques, alimenter le compte de minutes à distance ou à partir de leur compte bancaire etc. La Société Tunisienne de Banque (STB) lance deux solutions de paiement via le mobile. La première offre consiste à transférer de l'argent à partir d'un compte bancaire à l'étranger vers un mobile tunisien. Le destinataire du virement récupère le montant transféré à un distributeur automatique de la banque. La deuxième offre, quant à elle, permet de réaliser une transaction financière via un téléphone portable entre le mobile du client et celui du vendeur (les deux parties doivent avoir des comptes bancaires à la STB). Une attente de décision de la banque centrale attendue cette année permettra ou non de passer à l'échelle supérieure.

La tendance serait de penser que les modèles dépendent de l'environnement réglementaire et concurrentiel. Le challenge pour les opérateurs télécoms réside dans la création d'un écosystème stable : un savant équilibre doit être trouvé entre les offres commerciales, la simplicité d'usage, le besoin client et le réseau de partenaires (dont les banques, les fabricants de terminaux mobiles et les commerçants). Enfin, si aujourd'hui, le paiement mobile apparaît comme une question de spécialiste, demain le paiement par mobile concernera tout un chacun, de Paris à Bornéo en passant par Tombouctou!