Tour du2019Afrique des enjeux, des ru00e9alisations et des perspectives des sukuk en Afrique comme instrument de financement des plans de croissance, de construction, de refinancement et de stimulation des investissements des Etats du continent.

Les Etats africains ont plus que jamais besoin de financer leurs plans de croissance, de construction, de refinancement et de stimulation des investissements.

Dans une étude parue hier, l'agence de notation américaine Standard & Poor's indique que « De plus en plus de pays africains songent à émettre des obligations conformes à la loi islamique ( Sukuk ) pour stimuler leur croissance et réduire leurs déficits ».

L annonce de ce document constitue l occasion de faire un tour d'Afrique des enjeux, des réalisations et des perspectives des sukuk sur le continent.

Les sukuk comme une alternative pour le financement du développement

Bien que les raisons d exploiter le marché de la finance islamique varient d'un Etat à un autre, on retrouve des enjeux communs aux pays du continent.

Dans une interviews en 2008, Mohamed Damak, analyste crédits chez S&P, relavait déjà que l une des raisons qui «  nous pousse à penser qu il y a du potentiel sur le marché des sukuk en Afrique, c est que les besoins en infrastructures et les besoins de financement en général sur le continent africain restent très élevés. Une partie de ces besoins pourrait être comblée par la finance islamique, et plus particulièrement par des transactions en conformité avec la charia »

Effectivement, beaucoup de pays africains ont une population musulmane et il est logique de se tourner vers la finance islamique. En fait, ils sont un peu en retard quant au rattrapage de cette tendance mondiale.

Encadré : Les sukuk, c est quoi ?

Les sukuk sont des certificats d'investissement conformes à la recommandation religieuse issue du Coran interdisant aux fidèles directement le prêt à intérêt (riba). Ils consistent pour la banque à acheter un bien et à le revendre immédiatement à un prix majoré au client, qui rembourse alors selon un échéancier sur lequel les deux parties se sont entendues. Ils sont en quelque sorte l'équivalent, dans la finance islamique, des obligations dans la finance occidentale. (Définition soumise à la licence CC-BY-SA. Source : Article Sukuk de Wikipédia en français (auteurs))

Ensuite, la finance islamique est une tendance mondiale et de plus en plus de gouvernements prennent conscience du fait que l une des manières efficaces de capter le pool de richesse musulmane, concentré dans les États du Moyen-Orient riches en pétrole, est de fournir des investissements conformes à la loi islamique (charia).

La collecte de fonds par le biais de sukuk est un moyen de diversifier les sources de financement et de se couvrir contre la crise financière mondiale et la volatilité qui y est associée, les chocs et les risques & autant de points dont les émetteurs d obligations traditionnelles et les capital-investisseurs sont de plus en plus conscients.

Un intérêt grandissant en Afrique avec quelques modèles réussis

« Nous croyons que les obligations islamiques émises par les pays africains pourraientintéresser une base d'investisseurs du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ou de la Banque islamique de développement (BID), qui cherchent des opportunités d'investissements charia-compatible », explique l'analyste Christian Esters, auteur de l'étude de S&P.

« Pour des pays africains qui présentent d'énormes déficits et des finances publiques exsangues, attirer des investisseurs étrangers via des Sukuk pourrait leur permettre d'accéder à de nouvelles sources de financement, à une nouvelle classe d'investisseurs et de financer des projets dans les infrastructures ».

La Gambie et le Soudan, précurseurs en Afrique

Le secteur financier au Soudan est uniquement fondé sur principes de la charia. Toutes les banques au Soudan sont conformes à la charia et toutes les obligations émises au Soudan sont en fait des sukuk. Le marché soudanais a vu l émission d un premier sukuk en 2007 structuré par la banque HSBC et le DIFX (Dubai International Financial Exchange) pour le compte de la société Berber Cement d une valeur de 130 millions USD. Plus récemment, en 2012, le pays a émis un autre sukuk domestique de 160 millions USD.

La Gambie enregistre une émission de sukuk réussie : en 2008, la Banque centrale de Gambie a commencé à émettre des Sukuk-Al-Salam à court terme. Depuis lors la banque centrale émet régulièrement un sukuk à 3 mois, à côté de sa dette conventionnelle.

En Afrique du Nord, le printemps arabe a fait bouger les choses

Après le printemps arabe auquel l'Egypte a assisté en 2011, et même avant cela, les islamistes ont commencé à appeler à plus de financement islamique dans le pays, l'un des plus grands pays musulmans de la planète. En juin 2011, l'Autorité égyptienne de surveillance financière a émis l'approbation primaire sur les modifications proposées au Règlement général de la loi Capital Market n°95 de 1992 concernant les règles régissant l'émission et le négoce des sukuk. En février 2012, l'EFSA a présenté un projet de modification de la réglementation suite auquel l'Égypte a déclaré avoir l'intention de vendre 2 milliards de dollars de sukuk aux Égyptiens de l'étranger.

De même, la Tunisie, gouvernée par les islamistes après la révolution de 2011, a cherché à lever des fonds par l'intermédiaire de sukuk, sous l impulsion du parti islamiste Ennahda dans un souci de promotion de la finance islamique dans le pays.

Toujours en 2011, la banque centrale du Maroc a déclaré être en pourparlers avec le Groupe Professionnel des Banques du Maroc (GPBM) sur la réglementation qui permettrait l'émission de sukuk.

En Algérie, le président du groupe parlementaire du MSP, Mohamed Boubekeur, a appelé en avril 2011 les banques traditionnelles à ouvrir les compteurs dédiés à la finance islamique.

Un pas en avant, deux pas en arrière dans le reste du continent

Le Nigeria, la plus grande économie d'Afrique de l Ouest, a exprimé à plusieurs reprises son intérêt pour la vente de sukuk. En 2011, la banque centrale avait donné une approbation implicite à Jaiz Bank, la première banque islamique du pays.

Le Sénégal fait partie des pays qui ont montré ouvertement un intérêt pour les sukuks. Le pays a annoncé qu il rencontrerait des investisseurs et émettrait des sukuk sur les marchés nationaux et internationaux. Pourtant, à ce jour, aucun sukuk sénégalais n a été émis.

De même, au Kenya, la législation visant à éliminer les obstacles fiscaux à l'émission de sukuk a été discutée en 2011, mais ne s'est jamais matérialisée. Selon la banque centrale du Kenya, inclure les sukuk serait susceptible d'augmenter la quantité d'argent qui circule à destination du Kenya à partir de la région du Golfe. L'Autorité des marchés financiers du Kenya a recommandé l'allocation continue d'un composant sukuk sur les émissions obligataires futures ciblant les institutions islamiques et les investisseurs de détail.

Fait intéressant, l'Afrique du Sud, où les musulmans ne constituent qu  1,5% de la population selon les estimations, semble être la plus sérieuse à ce sujet. En Décembre 2011, le Trésor national a invité les institutions bancaires à soumettre des propositions pour la fourniture de services de conseil à la structuration et l'émission de sukuk souverains dans les marchés locaux et internationaux. À ce jour, toutefois, aucun développement concret n a été enregistré.

En somme, la situation pour ces pays est plus du type « attendons et nous verrons ».

Lever les zones d'ombres sur la structuration des sukuk en Afrique

Alors que des progrès en termes de changements de réglementation ainsi que des initiatives et des mesures prises en vue de l'émission de sukuks sont constatés, quelques questions se posent.

Tout d'abord, à quelle vitesse les États africains avancent-ils sur le sujet ?

Ensuite à quel point sont-ils sérieux à propos de l'émission de sukuk? Des pays comme la France, le Royaume-Uni, le Japon et la Corée ont envisagé d émettre des sukuk depuis des années, mais les tentatives ont été entravées par l'opposition et la critique.

En Afrique, faute d interlocuteurs avisés ou de surveillance accrue des marchés, il ne faudrait pas s attendre à une telle opposition ou critique. Cependant, le risque et l'incertitude politiques pourraient jouer un rôle vital dans notre continent historiquement et traditionnellement instable.

Un autre point de blocage est l argument selon lequel le sukuk serait coûteux, ou du moins plus cher que les obligations conventionnelles. Les Etats africains trouvent-ils que vendre des sukuk coûte trop cher ? Ou alors la forte demande des investisseurs nationaux et internationaux compenserait-elle les frais d'émission élevés, ce qui les rendrait plus abordables ?

D'autre part, quels types de sukuk seront émis en Afrique : des modèles gambiens et soudanais (sukuk domestiques), ou bien des sukuk souverains internationaux ? Jusqu'à présent, le Sénégal, l'Egypte et l'Afrique du Sud parlent international.

Enfin, allons-nous voir en Afrique seulement des sukuk souverains ou est-ce juste une question de temps avant que les entreprises africaines ne commencent à émettre des sukuk corporate ?

Le Sukuk est une alternative inévitable, en Afrique plus qu ailleurs. Les efforts des gouvernements sur ce front seront cruciaux.

Analyste sur Nextafrique.com.

L. Trame a travaillé au sein de plusieurs banques d'investissements de la place de Paris. Ses centres d'intérêts sont l'économie, la finance de marché et les nouvelles technologies.