Pourquoi les Haitiens ont raison

Haïti est, probablement, la seule nation au monde à avoir conquis son indépendance par deux fois.

La première fois  de la manière la plus classique : par les armes. Avec cette spécificité :c’était la première fois dans l’ère moderne qu’une révolte d’esclaves était réussie et couronnée par la défaite et l’expulsion des anciens maîtres !

Près de quinze ans de lutte entre deux adversaires aux forces très inégales, dont les armements sont sans commune mesure ,( certains d’une cruauté extrême comme ces « chiens mangeurs de nègres »importés de Cuba par les Français),avant que l’armée coloniale, renforcée par un corps expéditionnaire de30000 hommes, ne capitule et n’évacue l’île dans les dix jours. La première république noire venait de naître.

Mais Haïti dut conquérir une deuxième fois son indépendance, et cette fois par des moyens sournois et indécents : par l’argent. La vengeance est un plat qui se mange froid et, vingt ans après la défaite de ses troupes, la France revint à la charge en exigeant des compensations financières pour ses  planteurs qui pendant deux  siècles avaient vécu et s’étaient enrichis sur la sueur et le sang des Haïtiens !

Et ce n’était pas qu’une somme symbolique, c’était l’équivalent  de  six fois le budget du Sénégal en 2015. On n’avait encore jamais vu ça : le vaincu qui rançonne le vainqueur !Mais la petite île, ravagée par la guerre puis par les luttes intestines, impuissante face à une économie extravertie et dont la population  s’était démobilisée au contact des difficultés du quotidien ,n’avait pas d’autre choix que de céder au diktat.

Elle mettra plus d’un siècle( !) à s’acquitter de cette dette  Le seul cas comparable dans l’histoire récente est à chercher , cent cinquante ans plus tard, lors de l’indépendance du Zimbabwé.Mais contrairement aux Français, les Anglais, eux, s’étaient engagés à prendre en charge l’indemnisation de leurs colons…

Ce qu’ils ne feront d’ailleurs pas, trahissant leurs promesses mais, surtout, plongeant leur ancienne colonie dans  des remous qui durent depuis plus de  trente ans… Dans les deux cas donc, les grandes nations, en brisant l’élan de deux  jeunes nations qui avaient contribué à  les enrichir, ont manqué de grandeur.

Entre bourde et inculture

A l’occasion de ce qui est  la première visite officielle  d’un président français à Haïti depuis la très chère indépendance de l’île,  François Hollande a-t-il  commis une  «  bourde » en promettant aux Haïtiens de «s’acquitter  de la dette » de la France ?

Il  a surtout manqué de culture historique et de sens de l’urgence. Les pancartes des Haïtiens brandies à son arrivée et portant la mention « L’argent oui, la morale, non ! » rappellent étrangement l’exaspération des Tirailleurs Sénégalais qui scandaient :

« Assez de galons, nous voulons du riz ! » Blessés dans leur chair, usés au combat, « cristallisés » par la volonté des autorités françaises, les anciens combattants africains, qui avaient servi  la France dans ses guerres coloniales et dans les deux guerres mondiales, avaient fini par en avoir marre des médailles. Les médailles, répétaient-ils, sont faites pour les poitrines, et nous, c’est au ventre qu’on a d’abord mal !
François Hollande  n’a donc fait que rouvrir une vieille plaie en  rappelant incidemment à la mémoire des Haïtiens une  dette que leur président  a jugé « ignominieuse et destructrice »,alors même que l’île, victime de nouvelles promesses non tenues, a du mal à sortir d’une catastrophe qui a fait 230.000 hommes et des millions de désespérés .

En attendant de savoir quelle interprétation les vaudous  haïtiens feront de la chute par laquelle s’est achevée malencontreusement la visite de son président  (en tout cas, en Afrique, il aurait perdu ses électeurs !), il est temps que la France, et pas seulement la France officielle, assume  toute sa part dans la reconnaissance  de son héritage  colonial.

Ainsi, à titre d’exemple et sur un autre domaine, si la presse française a abondamment rendu compte de la commémoration du « génocide arménien » en l’attribuant à « la Turquie » (ou aux Turcs),sans jamais souligner que cet évènement se situait à un moment où la « Turquie » n’existait pas  en tant que telle et qu’il incombait à un régime connu sous le nom d’ « Empire ottoman », quand il s’est agit des massacres de Sétif, la même presse n’a pas hésité à les mettre au compte de « l’armée coloniale française »,comme s’il s’agissait d’un corps étranger disparu !

Depuis Sarkozy toute repentance est assimilée à « une haine de soi » et à un acte antipatriotique. Le gouvernement français se refuse donc à toute compensation et même à toute forme d’excuse sur son passé colonial, comme l’a répété récemment encore un ministre français en visite en Algérie.

Pourtant les Etats-Unis ont fait le chemin, pas à pas, depuis les « regrets »de Clinton, jusqu’a à la reconnaissance par Bush des « crimes »  commis, jusqu’à, enfin,  qu’en juin 2009, le Sénat, à l’unanimité de ses membres, vote une résolution symbolique exprimant des excuses à l’endroit de toutes les victimes de l’esclavage et de la discrimination raciale.

On comprend dès lors pourquoi un afro-américain a pu être élu président des Etats-Unis d’Amérique, quarante ans à peine après l’abolition des lois ségrégationnistes ! 

Né le 18 mai 1939 à Ndioum, dans le nord du Sénégal, Fadel Dia est historien et géographe de formation, et après avoir été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, il a occupé diverses fonctions nationales et internationales. Il s'est reconverti en écrivain auteur de plusieurs romans et de chroniques pour les journaux dakarois.