L'éclaircissement de la peau est actuellement l'une des formes les plus courantes de pratiques potentiellement nuisibles de modification du corps dans le monde

« Une peau plus blanche en 15 jours », c'est le leitmotiv de la publicité pour la crème sénégalaise Khess Petch qui a fait un tollé dans les rues de Dakar, a rapporté il y a quelques jours Kiné Fatim Diop, une militante sénégalaise engagée dans la défense du droit des femmes et observatrice sur France 24. Ce fait d'actualité nous sensibilise encore une fois sur le phénomène de dépigmentation en Afrique et chez la diaspora africaine.

Eclaircir sa peau implique d'appliquer divers produits cosmétiques dans le but d'obtenir un teint moins foncé en réduisant sa teneur en mélanine. L'éclaircissement de la peau est actuellement « l'une des formes les plus courantes de pratiques potentiellement nuisibles de modification du corps dans le monde », explique Kelly Lewis dans son article sur la psychologie des femmes.

Kelly Lewis évoque des études qui indiquent que leur utilisation connaît la plus forte croissance parmi les jeunes urbains, les femmes instruites dans les pays du Sud où la peau claire opère comme une forme de capital symbolique. Les spécialistes croient que l'héritage du colonialisme racial seul n'est pas une explication suffisante de la récente montée en puissance de l'utilisation des produits éclaircissants pour la peau.

Faisons le point pour bien comprendre les motivations et les enjeux de cette pratique.

Malgré la composition prouvée dangereuse des produits éclaircissants (voir encadré), le phénomène gagne en importance et crée de la dépendance auprès de ses utilisateurs. Les consommateurs deviennent dépendants en raison de la ré-augmentation de la pigmentation en cas d'arrêt brutal. Ils se sentent obligés de continuer à utiliser les crèmes éclaircissantes sur de longues périodes afin de maintenir leur peau plus claire fraichement acquise. En raison de la stigmatisation qui enveloppe l'utilisation de produits pour éclaircir la peau, les utilisateurs souffrent de symptômes de sevrage qui les rendent plus enclins à continuer à utiliser ces produits plutôt que de consulter un médecin.

Les chercheurs estiment que 25% des femmes à Bamako au Mali utilisent des produits éclaircissants. A Pretoria, en Afrique du Sud, 35% d'utilisatrices sont dénombrées. A Dakar au Sénégal, l'utilisation concerne 52% des femmes. Les études suggèrent que des pratiques similaires existent au sein de la diaspora africaine en Europe, dans les Antilles et en Asie.

Encadré : Quelles conséquences pour ceux qui s'éclaircissent la peau ?

Ces produits contiennent généralement de l'hydroquinone, des corticoïdes, des composés mercuriels, et d'autres agents caustiques (sodium hypocholoride, acide salicylique, détergents, etc.) qui sont liés à un certain nombre de problèmes de santé. Une étude réalisée au Sénégal a révélé que 75% des femmes utilisant ces produits ont montré effets indésirables cutanés.

L'hydroquinone, à long terme, peut conduire à une pigmentation paradoxale accrue de la peau connue sous le nom d'ochronose exogène. D'autres complications graves comprennent la perte d'élasticité de la peau et des complications de cicatrisation des plaies. L'utilisation de corticostéroïdes est associée à des complications ophtalmologiques, endocrinologiques et cutanées. Celles-ci incluent le glaucome et les cataractes, l'hypertension, le diabète sucré, la dermatite de contact allergique, l'eczéma, l'atrophie de la peau et des infections bactériennes, virales et fongiques.

Il a été par ailleurs prouvé que les dérivés mercuriels pouvaient être néphrotoxiques par l'absorption de mercure par la peau. L'empoisonnement au mercure peut se manifester par une variété de symptômes, y compris psychiatriques, neurologiques et rénaux.

Pourquoi une peau claire à tout prix ?

Les femmes au Sénégal associent la peau claire avec l'élégance, la beauté et un statut social plus élevé. Une étude menée en Tanzanie a révélé que nombre de Tanzaniens ont embrassé les idéaux de beauté eurocentriques et se sentent poussés à ressembler aux Blancs. Dans cette étude, une jeune femme de 25 ans a déclaré qu'elle « a commencé à s'éclaircir la peaux pour être belle et pour ressembler aux Arabes ou aux Européens et être attrayante pour les gens, surtout pour les hommes ».

Parmi les autres raisons, il ressort :

  • un désir d'unifier le teint ou d'améliorer la texture de la peau,
  • le traitement des imperfections de la peau afin d'éliminer les effets néfastes d'un blanchiment prolongé de la peau,
  • le besoin de satisfaire un partenaire ou d'attirer des compagnons masculins,
  • le besoin de satisfaire ou impressionner ses pairs pour améliorer les opportunités de la vie (en particulier les possibilités d'emploi) afin de réduire le retour de bâton de stéréotypes négatifs qui sont appliquées aux personnes à peau foncée,
  • le plaisir personnel d'avoir une peau claire, d'être à la mode.

Comprendre ces motivations

Les résidus racistes laissés sans équivoque dans le sillage de la colonisation contribuent à la préférence pour les teints plus clairs. L'établissement d'une hiérarchie raciale faisant la distinction entre la peau foncée des Africains indigènes considérés comme primitifs et inférieurs et la peau claire des Européens était une méthode clé de contrôle pendant la période coloniale.

La hiérarchie raciale justifiée par la répartition inégale des ressources, de la domination et de l'exploitation. Pendant la période coloniale, la culture des colonisés et les images corporelles ont été définies comme pathologiques, arriérées et laides. La noirceur corporelle a été associée à l'obscurité morale, la sexualité débridée, la pollution, la saleté et la maladie.

La publicité dirtoff de 1930 avec pour slogan « Le savon DIRTOFF me blanchit ! »

Une publicité française des années 1930 pour le savon Dirtoff a mis en scène un homme noir africain qui en se lavant les mains les rend blanches. Des publicités comme celles-ci (un savon qui nettoie si bien qu'il enlève même la pigmentation) étaient monnaie courante à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Si les préférences raciales existaient avant, elles ont été intensifiées par les hiérarchies raciales coloniales qui ont attaché des privilèges aux personnes de peau claire.

Pendant la colonisation, le regard dominant scientifique enraciné dans la pensée philosophique occidentale a fourni un moyen par lequel les corps des sujets colonisés pouvaient être étudiés. Les connaissances raciste fondées sur des dichotomies ont été produites à titre de preuve scientifique indiscutable ; ce qui justifiait la suprématie blanche. Le corps blanc était représenté comme le plus vertueux et le plus attrayant esthétiquement de sorte que la blancheur est devenu le paradigme, la norme, alors que la noirceur est devenue l'autre : le déviant, le corrompu et le laid.

Les hiérarchies raciales ont persisté longtemps après la domination coloniale. L'influence occidentale, dans les médias par exemple, a inondé l'Afrique, vulnérable au cours de la période postcoloniale et ont perpétué ainsi ces croyances. Les images médiatiques décrivent la peau claire plus belle et préférable à la peau foncée. Même les médias originaires d'Afrique, tels que les panneaux d'affichage, décrivent les personnes de peau blanche comme des icônes de beauté. Jusqu'à récemment, l'industrie cosmétique produisait des cosmétiques uniquement pour les personnes à peau blanche ; ce qui renforçait l'association entre peau claire, beauté et richesse. Des études rapportent que l'utilisation de produits pour éclaircir la peau est en augmentation dans les endroits où la modernisation et l'influence de la culture occidentale et du capitalisme sont les plus importantes.

Une analyse des sources de la guerre au Rwanda part du constat historique que « pour le colonisateur reconverti en religieux, les Tutsis, gens de teint clair de la race sémitique, sont comme des Blancs, c'est-à-dire très intelligents. A l'inverse, les Hutus noirs, sont rangés comme véritables africains, et par conséquent moins intelligents. Les missionnaires européens vont entretenir ce mythe et l'imposer aux autorités coloniales ».

La consommation courante et croissante de produits éclaircissants pour la peau suggère que le « colorisme » (hiérarchie sociale fondée sur la couleur de la peau) est à la hausse. Pour certains spécialiste, le phénomène de l'éclaircissement de la peau illustre le fonctionnement d'un système mondial dominé par l'Occident qui encourage la consommation de la culture occidentale et de ses produits. Dans ce contexte de constructions historiques où l'accent a été mis sur la suprématie occidentale contemporaine, l'éclaircissement de la peau est apparu comme une tentative de gagner une respectabilité, des privilèges matériaux et une mobilité sociale.

Les femmes en première ligne

Il est important de considérer l'éclaircissement de la peau par rapport au genre, parce que les relations entre la couleur de peau et les jugements esthétiques et moraux affectent les femmes avec plus d'acuité. Les femmes, plus que les hommes, sont jugées en grande partie sur la base de l'apparence. Comme mentionné précédemment, la couleur de peau peut être considérée comme une forme de capital symbolique qui affecte les possibilités de toute une vie. Si les femmes sont tenues à des normes plus élevées de beauté, alors la couleur de peau (puisqu'elle détermine des opportunités de vie) les affecte plus. Evelyn Glenn explique que les hommes sont plus susceptibles d'être considérés comme intéressants quand ils disposent de richesse, d'éducation et d'autres formes de capital humain, tandis que les femmes sont considérées comme intéressantes quand elles sont physiquement attrayantes, même si elles manquent d'autres capitaux.

Shyon Baumann affirme que les idéaux de teint sont liés aux attitudes dominantes envers les rôles des genres. Il suggère que les significations culturelles associées à la clarté et à l'obscurité sont respectivement considérées comme plus idéalement féminine et masculine. Par exemple, la blancheur et la clarté est associée à la jeunesse, l'innocence, la pureté, la virginité, la spiritualité, la vulnérabilité et la délicatesse, tandis que l'obscurité est associée à la menace, l'agression, la virilité, la vilenie et le danger. Les femmes sont souvent tenues à des normes plus élevées de clarté que les hommes parce que le sens de la clarté coïncide avec les rôles féminins appropriés. Les femmes sont censées répondre à certaines normes en ce qui concerne leur virginité, leur innocence et leur pureté. Si les femmes sont louées pour avoir incarné ces normes ou ces qualités de comportement, elles sont également « récompensés pour avoir incarné les caractéristiques esthétiques qui les symbolisent ». La femme idéalement claire est censée posséder des vertus féminines et la femme idéalement vertueuse est considérée comme idéalement belle. D'autre part, les stéréotypes sur les femmes noires associent leur noirceur à leur sexualité puissante et active.

La publicité ne représente pas la réalité telle qu'elle est, mais telle qu'elle devrait être. Pour cette raison, la publicité constitue un bon angle pour observer les idéaux dominants d'apparence physique. Les pubs montrent également les liens entre les idéaux de teint, les conceptions des rôles du genre ainsi que les normes morales et esthétiques. En 2003 et 2004, Shyon Bauman a entrepris une analyse de contenu de 2133 personnes apparaissant dans des publicités imprimées. Il a constaté qu'en moyenne, les femmes sont représentées comme ayant un teint plus clair que les hommes de la même race. Ces différences entre les sexes dans les idéaux de teint mettent en évidence l'attractivité spécifique au genre. Shyon Bauman a également constaté que les modèles féminins plus foncés sont plus souvent ouvertement sexualisés que leurs homologues à peau plus claire. Ces modèles étaient également plus susceptibles d'être représentés en contact intime avec un homme. Les femmes à peau plus claire ont a contrario été statistiquement habillées de manière plus conservatrice et étaient plus susceptibles d'apparaître aux côtés d'autres femmes.

Un business international

La production et la commercialisation de produits éclaircissants pour la peau offrent la promesse d'une peau plus claire ou plus blanche. Certaines estimations pour 2015, prévoient que le marché international de la dépigmentation vaudra 10 milliards de dollars, un enjeu économique pour certains qui ne veulent pas voir ce marché disparaître de si tôt.

L'éclaircissement de la peau a été intégré dans les flux transnationaux de capitaux et de culture et est impliqué à la fois dans le secteur formel de l'économie mondiale et dans diverses économies informelles, souvent souterraines. Les entreprises multinationales ont sauté dans le train en marche et dépensent de grosses sommes d'argent dans la recherche et le développement des marchés de masse et de ceux spécialisés dans l'éclaircissement de la peau. Les publicités créent un besoin pour les produits éclaircissants de la peau, en dépeignant les femmes à peau sombre comme malheureuses, ignorées par les hommes et souffrant d'une faible estime de soi. Une peau foncée est présentée comme un fardeau ou une maladie qui peut être guérie avec l'utilisation de produits pour éclaircir la peau. La peau claire est représentée comme une nécessité pour être jeune, beau, moderne et prospère.

Alors que ce marché se développe et que davantage de consommateurs sont touchés par ses conséquences dévastatrices, les questions éthiques ne manquent pas. Des études mettent en cause le dumping des produits de qualité inférieure dans les pays du Sud par les industries d'outre-mer. Souvent, ces produits n'ont pas été autorisés pour un usage humain dans leur pays d'origine.

Beaucoup de savons à composés mercuriels utilisées par les Africains sont fabriqués dans l'Union européenne (UE), où ils sont autorisés à être fabriqués aussi longtemps que le produit est exporté. Les savons manufacturés en UE seraient réintroduits clandestinement dans l'Union européenne où ils sont vendus à des communautés d'immigrés africains. Un certain nombre de pays du tiers monde sont soupçonnés d'être utilisés comme des sites de production off-shore et de distribution pour les sociétés pharmaceutiques de l'Occident.

L'Afrique du Sud, le Zimbabwe, la Gambie et le Kenya ont interdit l'importation et la vente de produits contenant du mercure et de l'hydroquinone. Toutefois, ces interdictions sont souvent mal appliquées et difficile à contrôler en raison du fait que les produits sont passés en contrebande dans d'autres pays africains ou européens. Les produits demeurent facilement accessibles dans les capitales africaines où ils sont vendus sans prescription médicale ni contrôle, et alimentent donc l'utilisation massive et incontrôlée des produits éclaircissants. Les produits de marque contrefaits et falsifiés sont généralement vendus dans les ruelles ou sont même distribués par des médecins ou pharmaciens. Les chercheurs sont critiques sur la communauté médicale occidentale qui a échoué à intervenir dans la production et l'utilisation de ces produits chimiques pour éclaircir la peau et qui semblent rejeter leur utilisation comme un problème de Noirs exclusivement.

Ce qu'il faut retenir

L'utilisation de produits éclaircissants pour la peau dans les pays africains est en cours et en pleine croissance, en dépit de vastes campagnes de santé publique et d'interdictions gouvernementales. Ceci appelle à une réévaluation drastique des principaux facteurs de ce phénomène dévastateur. Les règlements et politiques gouvernementaux ainsi que les campagnes publiques doivent être fondés sur une compréhension des motivations de la pratique, et bien sûr, une application des lois plus stricte est nécessaire. Des études suggèrent que beaucoup de désinformation existe autour des conséquences sanitaires de la dépigmentation de la peau et les utilisateurs comprennent rarement le rôle important de la pigmentation de la peau.

Le problème mondial des représentations idéalisées des femmes et des hommes dans les médias est un autre facteur qui doit être pris en compte. Les teint idéaux dans les médias locaux et occidentaux sont une source d'anxiété chez les femmes qui opèrent ensuite des formes nuisibles de modification corporelle. Les images médiatiques doivent insister sur la diversité des types de beauté.

Enfin, les forces économiques en jeu doivent être comprises et confrontées. Le secteur de fabrication, de publicité et de vente de produits éclaircissants pour la peau est devenu un marché de croissance important pour les multinationales. Ces sociétés jouent un rôle de premier plan dans la création et la manipulation des besoins et des désirs, souvent ouvertement capitalistes pour soutenir la suprématie blanche.

Nous conclurons en reprenant les propos de Kiné Fatim Diop : « Il faut expliquer aux femmes qu'être noire n'est pas une honte ».

Analyste sur Nextafrique.com.

Carole Ouédraogo est passionnée d'anthropologie, domaine dans lequel elle poursuit une thèse.