Plus de 325 millions de Fcfa sur les 300 milliards de francs des migrants, transiteraient par de petites agences non structurées vers le Mali. Depuis plusieurs années, le marché du transfert d'argent progresse significativement dans notre pays.

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Cela s'explique par l'importante présence de nos compatriotes à l'extérieur du pays qui usent de ces facilités pour envoyer de l'argent à leurs proches restés au bercail. Selon des statistiques récentes du ministère chargé des Maliens de l'Extérieur, les envois de fonds des migrants au pays atteignent la faramineuse somme de 300 milliards Fcfa par an.

Cette formidable manne transite par des agences de transferts d'argent formelles très structurées comme « La Poste », « Western union », « Money Gram » ou « Visa ». À côté de ces géants, il y a les Groupements d'intérêt économique (GIE) et bureaux de changes qui assurent la conversion des devises et exécutent certains transferts d'argent.

La diaspora passe ainsi de plus en plus par ces réseaux informels appréciés pour la simplicité des procédures et la modicité de leurs coûts. Communément appelés « Westerns Soninkés », ces agences informelles souvent personnalisées se concentrent à Bamako et dans la région de Kayes. Impossible de connaître leur nombre, car la plupart évoluent dans la plus grande opacité.

Toutefois selon une enquête du Centre d information et de gestions des migrations au Mali (CIGEM), plus de 500.000 euros (330 millions Fcfa) transiteraient à travers ces agences. Les premières agences locales du genre ont été créées au Mali dans les années 1980. Aujourd hui, c est un véritable réseau de transfert d argent qui s est développé et surtout adapté aux besoins de nos émigrés, principalement les Soninkés d où son nom « Western Soninké ». La particularité est que toutes ces agences Suvrent dans le secteur informel. Et pourtant, la formule de payement est simple, quasi immédiate et sécurisée Dans le Grand marché de Bamako, l Agence Bacounou (ATB) ne désemplit jamais. Son gérant indique qu ATB effectue une cinquantaine de transactions par jour.

« Notre clientèle est constituée essentiellement de nos compatriotes d Espagne, d Italie, de France et d Allemagne. Notre succès, c est notre simplicité », témoigne le gérant. Le secteur très porteur a attiré beaucoup de jeunes Soninké qui ont fréquenté l école. Aujourd hui, chaque grande bourgade soninké possède son agence ou son agent de transfert. C est le cas d Ousmane Sylla, jeune diplômé sans emploi. « J ai embrassé ce métier grâce à un mon frère qui vit à l extérieur. Après mes études de transitaire, je n avais pas de travail. Actuellement, je fais des affaires qui me permettent de gagner ma vie dans ce job. Sans risque de me tromper c est un métier qui peut faire vivre son homme », commente le jeune Ousmane Sylla.

Un fonctionnement simplifié et à faible coût

Divers modes de transferts informels existent, combinant le plus souvent le versement du transfert en espèces à un collecteur dans le pays de résidence, un paiement immédiat aux familles par un correspondant dans le pays d origine et une compensation différée via le transport physique des espèces jusqu au correspondant devant être remboursé. Les fonds sont ainsi délivrés directement par un voyageur connu transportant les espèces pour ses collègues ou par le migrant lui-même lors de son propre voyage au pays (annuellement le plus souvent). Selon les explications des migrants, plusieurs raisons favorisent l épanouissement de ce secteur informel.

À commencer par les frais de transfert qui oscillent entre 3 et 5 % de la somme à transférer selon le réseau, contre 10 à 17 % via un réseau structuré comme Western Union, Money Gram ou La Poste. Ces circuits sont par ailleurs plus regardants sur les détails administratifs (questions test, chiffre secret, nom de l expéditeur à orthographier à la lettre près, etc.). Mamadou Sylla est un migrant en Europe rencontré dans une agence informelle au marché de Médine. C est, de son point de vue, surtout le faible coût de transferts et la simplicité du système qui attirent beaucoup de migrants vers ces agences. « Les gérants de ces agences sont nos parents, ils comprennent nos soucis et connaissent nos familles au village. Certaines agences prennent en charge les frais de soins de santé, d éducation et les besoins annuels de nos familles.

Chaque année, nous leurs remboursons des prêts. Cela est une bonne chose, ce service crée des emplois au profit de nos compatriotes restés au pays », énumère cet émigré. Balla Baradji, gérant d une agence de transfert à Bagadadji, note que le système est géré surtout par des commerçants. « Son mécanisme est tout aussi simple. L argent envoyé est très souvent en devises du pays d accueil. Il est déposé au niveau d un représentant de l agence à l extérieur. Ce dernier se charge ensuite de communiquer la somme transférée via le téléphone à l agence principale dans la capitale. L argent est ensuite envoyé ou récupéré par le bénéficiaire au niveau du bureau local en monnaie locale. Les frais d envoi varient en fonction du montant. La récupération par le bénéficiaire est aussi simple. Il se présente avec un code qui lui a été communiqué par l expéditeur, le montant de l argent et une pièce d identité. L argent transféré est souvent expédié jusqu aux villages des bénéficiaires. Les envois informels, on le voit, sont enchâssés dans les relations sociales et communautaires.

La précarité dans laquelle vit une partie des travailleurs, amène un confinement dans un réseau limité aux personnes de confiance directement à proximité, généralement de la même origine communautaire. Proximité, solidarité communautaire, peur du contrôle, du vol en chemin ou de la dénonciation par le banquier, manque d information sur l existence de la diversité des moyens et de leurs tarifs sont autant d avantages décisifs pour le secteur informel. Côté réception, les points de paiement les plus mentionnés par les opérateurs informels se situent à Bamako et Kayes.

A noter aussi qu il n existe pas de concurrence en milieu rural pour acheminer le paiement des transferts jusqu aux villages dans la région de Kayes. La large part qu occupe l informel dans le volume des transferts vers le Mali tient donc aussi à la défaillance des services financiers classiques.