Pour Xavier Darrieutort, chargé d'affaires à Proparco et Jérôme Bertrand-Hardy, directeur-adjoint des opérations, le rôle des institutions financières de développement (IFD) est d'accompagner les projets risqués voire d impulser les réformes nécessaires au secteur : meilleure répartition des revenus, atténuation des impacts sociaux et environnementaux.

 

Le 8ème numéro de la revue Secteur privé et développement de Proparco, institution financière du groupe Agence Française de Développelent, est consacré au secteur minier africain.

Pour Xavier Darrieutort, chargé d'affaires à Proparco et Jérôme Bertrand-Hardy, directeur-adjoint des opérations, le rôle des institutions financières de développement (IFD) est d'accompagner les projets risqués voire d'impulser les réformes nécessaires au secteur : meilleure répartition des revenus, atténuation des impacts sociaux et environnementaux.

Secteur privé et développement

proparco revue

Cliquez sur le lien pour consulter l'intégralité du 8ème numéro de la revue Secteur privé et développement de Proparco, intitulé "Le secteur minier, un levier de croissance pour l'Afrique?"

Depuis 2002, les prix de nombreux métaux - en particulier l'or et le cuivre - ont connu une hausse significative.

En réaction, les investissements dans l'industrie minière ont augmenté, aussi bien dans l'exploration que dans la mise en exploitation de nouveaux gisements.

L'Afrique n'est pas en reste - même si l'on peut penser qu'elle aurait pu mieux profiter de cet engouement.

L'exploitation du cuivre en Zambie, et maintenant en République démocratique du Congo (RDC), a repris. La Tanzanie et l'Afrique de l'Ouest - Ghana en tête - ont vu leur potentiel aurifère confirmé. Madagascar devrait produire très prochainement du nickel.

Dans ce contexte, les Institutions financières de développement (IFD) auraient logiquement dû, elles aussi, accroître leurs investissements dans le secteur minier africain. La réalité est cependant plus nuancée. Les opportunités de financements en dette respectant les critères d'intervention des IFD n'ont pas été nombreuses. Même si des institutions comme la Banque européenne d'investissement (BEI) ont investi des sommes significatives dans des projets d'exploitation du cuivre en Zambie ou du nickel à Madagascar, la plupart des projets miniers africains concerne l'or, qui trouvent à se financer auprès des marchés. Pour sa part, Proparco a concentré ses efforts sur l'exploration minière, essentiellement en réalisant un investissement global de 13 millions de dollars dans les trois fonds d'investissement African Lion, au côté de partenaires comme la BEI, Investec ou Rand Merchant Bank. Ces investissements ont permis, à ce jour, l'ouverture de six mines d'or et de nickel dans cinq pays, par des sociétés juniors, telles que Red Back au Ghana, Gallery Gold au Botswana, Albidon en Zambie.

Même si ces sociétés ont connu des fortunes diverses et ont parfois été prises dans des mouvements de consolidation, ce type d'investissement paraît particulièrement justifié du point de vue d'une IFD. Si la phase d'exploration nécessite moins d'investissement que la mise en exploitation, elle n'en reste pas moins cruciale dans le cycle de développement d'un site minier. Pas toujours appréciées, les sociétés juniors abritent tout de même des professionnels expérimentés. Par ailleurs, ces sociétés ont souvent moins de moyens de pression sur les autorités locales que les majors, ce qui permet aux pouvoirs publics de négocier des contrats plus avantageux. En revanche, le manque de moyens de ces sociétés peut les conduire à ne pas appliquer les meilleures pratiques environnementales ou sociales. African Lion a donc décidé, sous l'impulsion de ses investisseurs, de renforcer ses exigences environnementales et sociales au moyen d'un suivi plus scrupuleux des sociétés de son portefeuille.

L'intervention d'une IFD comme Proparco a donc été plus discrète qu'on aurait pu le prévoir. Cette position s'explique à la fois par la nécessité de ne financer que des projets à forts impacts sur le développement économique, par le respect de la subsidiarité financière et aussi par l'importance des impacts environnementaux et sociaux des projets.

Ne financer que des projets contribuant au développement économique

La première des conditions de l'intervention d'une IFD dans le financement d'un projet d'exploitation minière est la contribution effective de ce projet au développement économique du pays et à la réduction de la pauvreté. Les impacts développementaux des investissements miniers se mesurent par les emplois directs et indirects créés, et par l'importance des recettes fiscales prélevées par l'État. En termes de création d'emplois, les projets miniers emploient en général plusieurs centaines de personnes, peu ou pas qualifiées, en général recrutées localement, en phase de construction (qui est la plus intensive en main d'oeuvre). Les IFD sont particulièrement attentives à l'impact des projets sur l'emploi local. Dans certains pays, la législation impose le recrutement d'un certain pourcentage d'employés locaux.

La fiscalité est aussi un outil qui permet de renforcer la contribution du secteur minier au développement économique d'un pays - à condition toutefois que les revenus perçus par l'État soient équitablement redistribués à la population. Les IFD doivent s'assurer que le régime fiscal du projet minier assure une juste rémunération à l'État. Cette vigilance est d'autant plus importante en Afrique, où le secteur minier représente souvent une part importante des exportations et du PIB d'un pays. Les bailleurs doivent donc se garder de financer des projets faisant appel à des techniques « d'optimisation fiscale », qui privent les États de revenus qu'ils sont en droit de percevoir. Proparco a rencontré ce type de montage en Afrique de l'Ouest. L'emprunteur étant enregistré dans un paradis fiscal, on pouvait logiquement se demander si un tel montage ne revenait pas à réduire la base imposable du projet, ce que les IFD ne peuvent pas accepter.

Une trop faible imposition des revenus miniers peut conduire à une renégociation des contrats par les États et une instabilité juridique de nature à décourager les investisseurs étrangers. Les gouvernements de RDC et de Zambie, constatant qu'ils avaient accordé des conditions trop avantageuses à des projets miniers, se sont engagés il y a quelques années dans un vaste mouvement de renégociation des contrats pour capter une part plus importante des revenus miniers, alors en hausse.

Un principe de subsidiarité financière mis à mal par des marchés très liquides

Les IFD n'interviennent dans le financement d'un projet ou d'une entreprise que si les investisseurs ou les prêteurs privés font défaut, respectant en cela le principe de la subsidiarité financière. Or l'intervention des IFD est moins nécessaire pour les projets miniers - même en Afrique - en raison de la forte présence de bailleurs privés sur ce secteur d'activité. Ce phénomène est exacerbé par la prédominance des projets aurifères sur le continent, qui se financent en général avec des prêts à cinq ans au plus, que les banques spécialisées sont tout à fait disposées à fournir.

La subsidiarité financière des IFD est encore moins prégnante en période de hausse des cours. Portés en effet par un marché mondial des matières premières en forte croissance entre 2004 et 2009, les investissements miniers ont crû de 39 % sur cette période (Raw Materials Group, 2010). Les compagnies minières n'ont pas eu de difficultés, dans l'ensemble, à se procurer des financements abondants auprès des banques commerciales et des marchés de fonds propres spécialisés, au premier rang desquels les bourses de Toronto, Sydney et Londres, alors très liquides. La crise financière, qui a coïncidé avec une déprime des marchés de matières premières, a épargné l'or, valeur refuge en temps de crise, dont les cours se sont envolés pour atteindre des niveaux record. Témoin de cet appétit intact des investisseurs pour le métal jaune, un projet de mine d'or en Afrique de l'Ouest a ainsi été intégralement financé par le promoteur sur ses fonds propres, malgré la tourmente financière de 2009.

Des projets aux fortes externalités sociales et environnementales

La plupart des projets d'extraction minière ont un impact - parfois très significatif - sur le capital naturel et sur les populations locales. Les IFD doivent systématiquement veiller à ce que les projets qu'elles financent se conforment à la législation environnementale et sociale du pays concerné. Au-delà, il faut aussi respecter les normes internationales de référence qui concernent les projets miniers - en particulier les « Critères de performance en matière de durabilité sociale et environnementale » définis par la Société financière internationale (SFI). Proparco a par exemple étudié la faisabilité d'un projet aurifère en Afrique de l'Ouest qui nécessitait le déplacement de plus de 2 000 foyers, soit un total d'environ 11 000 personnes. L'étude d'impact initiale et le plan de réinstallation ne proposaient pas de mesures de compensation concernant les personnes affectées par le projet, qui tiraient leurs revenus de l'orpaillage sur le site de la future mine. L'application des Critères de performance de la SFI rend la compensation monétaire des personnes déplacées obligatoire pour les avoirs immobiliers ou mobiliers perdus. Elle implique aussi leur relogement dans une maison neuve et une restauration durable de leurs revenus. Une mission sur le site du projet a permis de s'assurer que les impacts négatifs du projet étaient sérieusement atténués par ses promoteurs.

Malgré ces contraintes, l'intervention des IFD dans le secteur minier africain présente une réelle valeur ajoutée. Elle est incontournable, en effet, dans les pays et les métaux considérés comme risqués ; elle est essentielle, en outre, pour promouvoir les meilleures pratiques environnementales, sociales et fiscales.

Une prise de risque plus élevée

Si les banques commerciales sont toujours très intéressées par les projets miniers de courte durée, par les métaux les plus courants (comme l'or, le nickel ou le cuivre) et les pays les plus stables du continent, elles affichent en revanche une plus grande prudence en matière de financements longs et dans des pays et des métaux présentant un profil de risque plus marqué. Les IFD ont vocation à remédier à cette « défaillance de marché », en accordant par exemple des prêts à long terme (10 ans ou plus) permettant aux projets miniers, dont les investissements initiaux sont significatifs, de se rentabiliser grâce à des profils de remboursement plus étalés dans le temps. Les IFD peuvent d'autre part soutenir des projets concernant des métaux plus rares et plus risqués, pour lesquels il n'existe pas d'instruments de couverture à terme permettant de sécuriser les volumes et les prix de vente. Enfin, il relève du mandat des IFD de prendre davantage de risques que les bailleurs privés en intervenant dans des pays géologiquement riches mais présentant une plus grande instabilité ou un moindre niveau de développement.

Promouvoir des projets exemplaires

Pour que l'intervention des IFD représente une garantie d'exemplarité en matière d'atténuation des impacts sociaux et environnementaux des projets, il est impératif que les Critères de performance de la SFI soient systématiquement appliqués. Révisés en 2006, ces critères se sont imposés de facto comme les normes de référence en matière de développement et de financement responsables de projets extractifs dans les pays émergents. Ils ont aussi très largement inspiré les Principes d'Équateur[1], adoptés à ce jour par une soixantaine d'institutions financières privées. Les huit Critères de performance de la SFI couvrent des domaines aussi variés que les ressources humaines, les conditions de travail, la prévention et la réduction de la pollution, la conservation de la biodiversité et la gestion durable des ressources naturelles, etc. Ces critères rendent nécessaire une forte implication des populations locales dans le projet.

Une juste répartition des revenus et plus de transparence

La réforme du régime fiscal du secteur minier doit permettre à la fois la juste rémunération des États et des compagnies minières et garantir la stabilité du cadre juridique et fiscal afin d'attirer les investisseurs. Il faut s'assurer que les États miniers africains n'entrent pas dans une forme de « dumping fiscal », consistant à baisser toujours plus les taux d'imposition pour attirer les investisseurs. Des taux planchers - qui pourraient devenir des normes internationales - pourraient être définis sous l'impulsion des bailleurs de fonds, en concertation avec les différents acteurs du secteur. Les exemptions fiscales doivent être moins systématiques et devraient être approuvées par les parlements nationaux. Une transparence accrue des transactions entre États et groupes miniers, conformément aux préconisations de l'Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), doit renforcer leur légitimité tout en permettant une meilleure mesure des impacts développementaux des projets. Dans toutes ces réformes, dans leur application et leur généralisation, les IFD ont un rôle de tout premier plan à jouer.

Les auteurs

Xavier Darrieutort est diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et de l'ESSEC (Mastère spécialisé en affaires internationales). Après avoir travaillé plusieurs années dans le secteur bancaire, il a rejoint Proparco, où il est chargé d'affaires spécialisé dans le financement de projets de mines et d'infrastructures dans les pays en développement et émergents.

Jérôme Bertrand-Hardy est ingénieur agronome, par ailleurs titulaire d'un Master de l'Institut d'administration des entreprises de Paris. Après avoir été consultant en hydraulique urbaine, il intègre l'AFD en 1998 en tant que responsable du financement de projets dans les secteurs de l'eau et de l'électricité en Afrique. Il rejoint Proparco en 2001 et dirige le service Infrastructures et mines de 2006 à 2010, avant d'être nommé directeur adjoint des opérations.

Le bilan de l'intervention des IFD dans le secteur minier africain au cours de ces dernières années ne mérite ni excès d'honneur ni indignité. Le dynamisme des investisseurs privés et les contraintes propres aux projets d'extraction tendent à marginaliser les IFD.

Pour autant celles-ci ne doivent pas être absentes du secteur. Fidèles à leur mission, elles doivent intervenir là où le secteur privé fait défaut.

En outre, elles peuvent avoir un rôle déterminant dans la généralisation des bonnes pratiques environnementales, sociales et fiscales - conditions essentielles d'un développement durable et équitable du secteur minier africain.