Les académies africaines devraient-elles mettre la pression sur les gouvernements à Le lobbying semble en contradiction avec le rôle habituel de ces institutions dans l élaboration des politiques nationales.

En effet, le monde du lobbying représente un défi pour les académies, qui sont rarement attirées par l'affairisme sur lesquels il opère.

Certes, il y a un certain risque que le lobbying puisse endommager la crédibilité de l'académie. Prendre parti dans un débat où la science reste incertaine serait inapproprié pour de telles institutions.

Toutefois, un lobbying habile pourrait aider les académies à s'assurer que les preuves fondées sur la science se feront entendre dans la clameur des voix qui tentent d'influencer les décideurs. Cela pourrait aussi aider à convaincre les dirigeants politiques d allouer davantage de ressources à la science.

Prendre position

La question de savoir si les académies devraient s introduire sur cette corde raide a été discutée lors de la sixième réunion annuelle, en Afrique du Sud, le mois dernier (8-10 novembre), du Programme africain pour l'initiative de développement de l'académie des sciences (ASADI), un programme de dix ans visant à renforcer les académies africaines et à les entraîner à fournir des arguments aux décideurs politiques.

La question a été soulevée par Ian Thornton, un conseiller politique de la Royal Society au Royaume-Uni. Il a expliqué aux académiciens comment, dans la perspective de l'élection générale du pays en mai dernier, l'académie a produit un document lobby pour se battre pour le budget de la science.

« À l'époque, il était clair qu'il fallait s attendre à un changement de gouvernement en Grande-Bretagne. », a dit Thornton. Il semblait également que suite à la crise financière que le pays venait de traverser, le nouveau gouvernement aurait à gérer l'un des budgets les plus serrés de l'histoire nationale récente.

Le rapport de la société, 'The Scientific Century: securing our future prosperity', a été signé par deux anciens ministres de la science et une poignée de lauréats du prix Nobel. Il a souligné que le Royaume-Uni perdrait son avantage concurrentiel si le gouvernement entaillait le budget de la science et la technologie.

Le rapport a bénéficié d une importante couverture par les médias britanniques. Il a même été publié dans The Sun , un tabloïd quotidien pas très connu pour sa couverture de la politique scientifique. Est venue ensuite la première revue des dépenses du nouveau gouvernement : la science a connu un relativement faible resserrement de budget par rapport à de nombreux domaines en compétition.

Quand le lobbying est légitime

Thornton a fait sensation lors de la réunion ASADI parce qu'il a osé utiliser le terme «lobbying» pour décrire les actions de la société. Patrick Kelley, directeur de la US National Academies of Science à ASADI, a expliqué avec un sourire que son organisation a plutôt « éduqué » les décideurs politiques. Les académiciens africains dans le public avaient également des doutes.

Toutefois, la Royal Society a employé son influence pour faire pression dans une zone où il ne faut pas s'attendre à être impartial: le budget national des sciences. C'est un domaine où les académies ne doivent pas craindre de prendre un rôle de premier plan en formant un « lobby de la science » nationale visant à promouvoir les dépenses en matière de science dans leurs pays.

Les académies devraient également prendre position pour que des preuves scientifiques appuient telle ou telle approche politique particulière. Par exemple, les scientifiques du climat prédisent l'augmentation des fluctuations des précipitations annuelles à travers le continent. Les académies devraient arborer de tels arguments dans les débats politiques.

L'Afrique a un mauvais dossier en ce qui concerne le lobbying de la science. L'histoire a été en partie la réponse à cet état de choses. La disparité dans les financements nationaux et les baisses des subventions internationales ont forcé même les meilleurs scientifiques du continent à mener une existence-à-bouche pendant de nombreuses décennies. Comme les charges d'enseignement ont augmenté, il ne restait que peu de marge pour mener des recherches, sans parler de s'engager dans la définition de politiques.

Cela commence à changer. Certes, les dépenses nationales en science sont faibles dans la plupart des pays africains, avec en moyenne 0,3 pour cent du produit intérieur brut (PIB) consacré aux sciences et technologies. Mais plusieurs pays, notamment la Tanzanie et l Ouganda, commencent lentement à augmenter leurs dépenses nationales dans ce domaine.

C'est en forgeant qu'on devient forgeron

Déjà, un petit nombre d'académies africaines tente d effectuer une petite pression pour un financement des sciences. « Nous faisons du lobbying pour le financement gouvernemental pour la science et oui, cela a fait une différence. », explique Paul Nampala, secrétaire exécutif de l'Académie nationale des sciences d Ouganda.

L'Académie des sciences du Nigeria est également en mouvement dans cette voie, affirme son président, Oye-Ibidapo Obe. « Nous allons intensifier ce type de lobbying scientifique à l'avenir. », dit-il.

D'autres, cependant, ne sont pas à l'aise avec le terme « lobbying ». Roseanne Diab, directeur général de l'Académie des sciences d'Afrique du Sud, déclare: « Je préfère éviter l'utilisation de ce terme lors de l'examen du rôle consultatif des académies en raison des connotations négatives qu il comporte. »

« Les académies donnent des conseils fondés sur des preuves et poussent à des efforts quant à  la diffusion de leurs résultats en s assurant de leur imbibition, mais je n'irais pas jusqu'à appeler cela du lobbying. »

Il pourrait être trop ambitieux pour les académies africaines de tenter une pression similaire à celle de la Royal Society. Après tout, la société a eu 350 années pour forger sa réputation. La plupart des académies africaines ont moins de dix ans.

Néanmoins, c'est en forgeant qu'on devient forgeron. Un lobby scientifique solide pourrait soutenir la science d'Afrique, l'aidant à se maintenir en concurrence pour le financement par rapport à d'autres priorités du gouvernement.

Tout aussi important, il faudrait également s'assurer que les promesses du gouvernement soient tenues, et que l'argent public est dépensé de manière transparente sur des données scientifiques de qualité.

Bien entendu, les gouvernements africains s'attendent à orienter l'investissement engagé de telle sorte que cela se traduise par des innovations favorables au développement et aux politiques, plutôt que la production de leur tour d'ivoire qui ne bénéficie pas à la société.

Mais c'est un juste prix à payer pour créer un développement durable, une base vigoureuse pour la science africaine.

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Un article original de Linda Nordling, journaliste spécialiste des politiques scientifiques africaines, originellement publié en anglais sur scidev.net. - Traduction : Next-Afrique/S. Dupont.

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